| | Polychromie des statues romaines en bronze (et la dorure) | |
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Maximianus Herculius Prefet de l'Vrbs
Age : 40 Date d'inscription : 23/04/2014
| Sujet: Polychromie des statues romaines en bronze (et la dorure) Mar 13 Jan - 12:06 | |
| L'exemple de Brutus et le répertoire de PYL m'ont montré que le forum est très ouvert. J'ai donc extrait un thème de mes recherches portant sur les sources textuelles autour de la polychromie métallique dans l'Antiquité que j'ai adapté. Ce n'est pas très proche de la numismatique, mais en cherchant bien, la dorure des alliages cuivreux par exemple peut servir à vos recherches. Si vous voulez les textes originaux en grec ou latin, ou une images des oeuvres dont il est fait mention, il suffit de demander.
LES APPORTS DES SOURCES ANTIQUES: LA COULEUR, SES TECHNIQUES, SON CONTEXTE
Les vestiges qui nous sont parvenus sont par définition fragmentaires. Ils ne nous offrent qu'un aperçu d'une pratique. La plupart des statues nous est inconnue, tout comme la vision que pouvaient en avoir ses contemporains. Estimer l'objet tel qu'il pouvait se présenter et être perçu est important pour l'étude de la polychromie statuaire. A cette fin, les sources antiques sont précieuses et relativement abondantes. Elles peuvent confirmer les hypothèses issues des fragments conservés, les compléter parfois. Il arrive aussi qu'elles soient en contradiction avec la vision technique, esthétique ou symbolique que nous pouvons nous faire des objets qui nous sont parvenus. Cependant, il est bon de garder à l'esprit qu'« il ne faut pas, [...], chercher dans tous les passages des auteurs anciens une précision technique que rarement ils y ont voulu mettre. » et qu'il faut également tenir compte du moment de la rédaction de ces textes par rapport aux œuvres qu'ils évoquent.
A/ Quand les sources antiques confirment les témoignages matériels.
Dans les meilleurs des cas, les textes antiques abondent dans le sens des observations réalisées sur les vestiges, confirmant certaines hypothèses techniques, supputations d'intentions ou tentatives de chronologie.
1/ techniques: la dorure à la feuille
La dorure est le procédé de polychromie de la statuaire de bronze mentionné avec le plus de détails techniques par les auteurs grecs et latins. Ainsi la technique à la feuille est abordée par Ammien Marcellin qui, au IVème siècle de notre ère évoque, dans son Histoire, la pratique consistant à se faire représenter en bronze.
Quelques uns parmi eux, croyant pouvoir s'immortaliser par des statues, recherchent avidement cet honneur, comme s'ils s'attendaient à être mieux récompensés par des images de bronze dépourvues de vie que par la conscience d'avoir bien agi et avec droiture; ils prennent soin de la faire recouvrir d'une feuille d'or.
Il semble donc que la dorure était souvent réalisée à la feuille battue – imbratteari. Plus loin, le même auteur mentionne une sphère de bronze et une torche du même alliage – certes pas une statue – dorée à la feuille encore – lamminis – afin d'obtenir un éclat – nitens ou plus loin abundanti flamma candentis – que n'offrent pas les autres techniques. Cette dorure date pour lui de l'époque d'Auguste.
On la [une obélisque transférée par Auguste d'Égypte au Circus Maximus] surmonte alors d'une sphère de bronze, à laquelle des feuilles d'or ajoutaient leur éclat; mais cette sphère fut immédiatement touchée par la violence du feu céleste et retirée pour cette raison; on fixe alors la reproduction d'une torche en airain, pareillement plaquée d'or à la feuille, qui paraissait briller d'une flamme vive.
Ammien confirme donc les traces de dorure à la feuille qui ont pu être observées précédemment. Ammien écrit certes à une date tardive, mais ce passage est censé concerner l'époque augustéenne. Juvénal, dans la treizième de ses Satires, mentionne également des statues dorées . « Faute d'objet si précieux, il se trouve un sacrilège plus modeste pour racler la cuisse dorée d'Hercule et la face même de Neptune, pour enlever à Castor sa pellicule métallique ». Juvénal, en 127, évoque donc lui aussi la dorure à la feuille – brateolam, incomplètement traduit par « pellicule métallique » – ce qui semble être la technique la plus répandue avant que le mercure ne gagne en importance. Il précise même ce que figuraient ces statues: Hercule, Neptune et Castor. Il n'est pas surprenant du tout de retrouver ici mention d'un Hercule, comme l'Hercule du Vatican et l'Hercule du Forum Boarium. Le passage peut aussi être compris comme un témoignage en faveur de la dorure ponctuelle et totale. En effet, on peut gratter la cuisse d'Hercule, car c'est ce qui doit se trouver à hauteur d'homme pour une statue grandeur nature – ce qui est le cas le plus souvent pour des effigies d'Hercule – présentée sur une base. Mais pourquoi aller chercher de l'or sur le visage de Neptune si ce n'est parce que c'est la seule partie dorée de la statue? Le texte n'est pas très clair mais peut laisser penser que cette dorure de détails se pratiquait comme en témoigne la tête de Monaco qui n'est dorée que sur la bouche et, semble-t-il, sur son bandeau d'athlète vainqueur. Il est cependant aussi possible que cette dorure ait été réalisée sur du marbre.
2/ aspect, rendu, intentions: les descriptions de voyageurs
Certaines descriptions d'œuvres antiques, par des voyageurs essentiellement, viennent appuyer des observations réalisées sur des objets conservés, confirmant l'aspect qu'ils pouvaient revêtir. Ainsi Apulée, au IIème siècle de notre ère, dans les Florides, décrit la statue de bronze représentant Bathylle qu'il a pu admirer sur l'île de Samos, qu'il date de l'époque grecque du tyran Polycrate, donc au VIème siècle avant notre ère. La tunique offre une vive polychromie – picturis uariegatam – qui n'est pas sans rappeler le paludamentum de Volubilis, qui pourrait dater du même siècle que l'auteur. La date avancée par Apulée est-elle fiable? L'œuvre décrite peut-elle correspondre à une date si ancienne? L'intérêt que porte l'auteur à cette statue ne lui vient-t-il pas du goût de son époque pour la polychromie?
Il s'y trouve également une riche collection de bronzes figurant toutes sortes de sujets, d'un travail ancien et admirable: entre autres, devant l'autel, une statue de Bathylle, dédiée par le tyran Polycrate, qui est ce que je crois avoir vu de plus réussi. Certains pensent, mais à tort, qu'elle représente Pythagore. C'est un jeune homme d'une beauté remarquable. Ses cheveux séparés sur son front en bandeaux symétriques, tombent le long des joues et par derrière l'opulente toison laisse apercevoir ça et là la nuque étincelante, qu'elle protège jusqu'aux épaules. La nuque est ferme, les joues sont pleines, le bas du visage est arrondi mais avec une petite fossette au milieu du menton. L'attitude est exactement celle du joueur de cithare: les yeux fixés sur la déesse, il a l'air de chanter; sa tunique aux broderies multicolores tombe jusqu'à ses pieds, retenue par une ceinture à la grecque; sa chlamyde couvre ses deux bras jusqu'à l'attache du poignet, et flotte en plis gracieux sur le reste du corps; sa cithare est étroitement assujettie au baudrier gravé qui la soutient.
Un autre passage, d'un autre voyageur, semble étrangement proche d'un objet conservé. Il s'agit de Pausanias, qui dans le livre I de sa Périégèse, consacré à l'Attique, au IIème siècle de notre ère lui aussi, rapporte les œuvres admirables qu'il a pu voir sur l'Acropole d'Athènes.
D'autre part, si on fait passer les réussites de l'art [sur l'Acropole d'Athènes] avant l'antiquité des œuvres, on peut voir ce qui suit: il y a un homme qui porte un casque, œuvre de Cléoitas, et Cléoitas lui a fait des ongles d'argent.
Les commentaires de ce passage se sont souvent focalisé sur la deuxième partie de l'extrait et ont considéré Cléoitas comme un sculpteur de la période classique. Mais la première moitié semble indiquer que, parmi les œuvres admirables et anciennes qu'il a pu voir, Pausanias remarque aussi cette statue plus récente mais d'un grand niveau technique. Il est aussi intéressant de noter qu'un troisième auteur du IIème siècle de notre ère – en plus d'Apulée et de Juvénal – voit son œil attiré par la polychromie. Cette sculpture admirable de l'Acropole d'Athènes, vue par Pausanias, semble bien proche du doigt de Princeton réputé avoir été découvert en ce même lieu. Cette pratique, si elle ne fut pas courante, se trouve néanmoins confirmée par un croisement des sources et des vestiges. Si cette œuvre fut unique, au moins est-elle bien renseignée. Sans doute a-t-elle dû sa célébrité à cette polychromie métallique naturelle, preuve que l'œil romain, et celui du IIème siècle en particulier, y était sensible.
3/ chronologie: une date connue pour la première statue dorée à Rome
La chronologie peut aussi se trouver enrichie de la comparaison avec les sources antiques, qui, si elles ne constituent pas une preuve formelle de datation, s'avèrent souvent précieuses. Pline l'Ancien, dans le livre XXXIV de son Histoire Naturelle, s'interroge sur l'ancienneté de la dorure. « On s'est plu à [...] recouvrir d'or [les statues de bronze]. Je me demande si ce n'est pas là une invention romaine; en tous cas le nom même n'en est pas ancien.» Cet extrait du livre XXXIV est extrêmement précieux. Il est la seule preuve littéraire de dorure sur des statues de bronze, car si de nombreuses mentions de dorure existent, seule celle-ci, du fait de sa place dans le livre consacré au cuivre et au bronze, se réfère à des œuvres d'airain. On peut néanmoins supposer que les autres extraits concernent la statuaire de bronze. La dorure sur d'autres supports était manifestement plus rare et les types de sculptures mentionnées – équestres, divines... – plaident en faveur de statues métalliques. Il apparaît cependant clairement que les historiens romains disposaient d'une date communément admise pour le plus ancien bronze doré de la Ville et peut-être même d'Italie: trois auteurs abondent dans le même sens, peut-être en se fondant sur une source commune. Tite-Live, à la période augustéenne, est le premier d'entre eux. Il mentionne la statue offerte par Manius Ancilius Glabrio à son père au temple de la Piété qu'il date de 181/180 avant notre ère d'après les années consulaires
Le duumvir Manius Acilius Glabrio dédia ce temple [de la Piété] et y érigea une statue dorée, qui fut la première de toutes les statues dorées d'Italie, représentant son père Glabrio.
Cette date correspond plus ou moins au plus ancien objet romain conservé: une tête d'Alexandre du Palazzo Massimo à Rome estimée sans plus de précision du IIème siècle avant notre ère. Peu de temps après, à l'époque de Tibère, Valère Maxime abonde dans ce sens, ajoutant néanmoins que la statue en question était une statue équestre. Cela n'a rien d'étonnant quand on connaît la part importante que représente ce type statuaire dans le corpus des œuvres dorées.
Personne n'a vu de statue recouverte d'or, ni à Rome, ni en aucune région d'Italie, avant que Manius Acilius Glabrio n'en plaçât une qui représentait un cavalier, en l'honneur de son père, dans le sanctuaire de la Piété.
Ammien Marcellin, au IVème siècle, ne dispose plus exactement des mêmes informations, ou peut-être lui sont-elles parvenues déformées. Aussi faut-il sans doute prendre avec prudence les indications qu'il ajoute aux sources antérieures: la statue aurait été dorée à la feuille – imbratteari – et accordée suite à une victoire sur Antiochus.
[...] ils prennent soin de la faire recouvrir d'une feuille d'or, privilège concédé pour la première fois à Acilius Glabrio pour avoir triomphé du roi Antiochus par son habileté et ses armes.
Il est ainsi surprenant d'observer que les historiens sont de plus en plus prolixes avec le temps. Cette surenchère invite à la prudence. On peut néanmoins retenir de ces passages que le premier bronze romain doré date sans doute du IIème siècle avant notre ère certainement sous la forme d'une statue équestre.
B/ Quand les sources antiques complètent les témoignages matériels.
D'autres sources littéraires antiques apportent des informations compatibles avec les vestiges. Difficilement vérifiables, elles doivent néanmoins être prises avec prudence. Ces données sont pourtant intéressantes : les écrits ont pu conserver des informations perdues.
1/ techniques: dorure
Pline l'Ancien – comme d'autres auteurs antiques – dans son Histoire Naturelle – livres XXXIII, XXXIV et XXXVII – relate des faits techniques qui s'avèrent très probables bien qu'aucune preuve ne puisse être apportée aujourd'hui par l'étude des vestiges, et très intéressants,. Tout d'abord, une technique qui semble ancienne est mentionnée par l'auteur à l'époque de Neron : la dorure en plaques. Ce témoignage est très précieux, bien que problématique, car il peut permettre de comprendre la tête de l'Agora d'Athènes mais sème le doute dans les chronologies. Cette « dorure en plaques » a-t-elle pu être répandue alors qu'on n'en a retrouvé qu'un vestige contestable? Cette dorure a-t-elle été utilisée à la période romaine alors que le seul vestige potentiel de cette technique semble bien plus ancien? Pline rapporte qu'une once d'or – 25 à 30 grammes – permet d'obtenir 750 feuilles de 4 pouces carrés, soit environ 8 centimètres carrés. Ce sont à peu près les dimensions des quadrillages – traces laissées par les feuilles aux endroits où elles se superposent – qui apparaissent sur des sculptures comme l'Apollon de Lillebonne ou les Dauphins de Vienne. Pline semble s'être intéressé sérieusement à la dorure, puisqu'au livre XXXVII de son Histoire Naturelle, consacré aux pierres, il évoque toujours des pratiques de doreur. En effet, il rapporte que des sarda – sardoines – sont utilisées en dorure. « On [...] trouve [des sardoines] aussi aux environs de Leucade, en Épire et en Égypte, que l'on applique sur feuille d'or. » Cet usage d'une agate – famille à laquelle appartient la sardoine – à passer sur une dorure pour la rendre plus éclatante existe encore aujourd'hui. Ce passage du livre XXXVII permet de savoir que cela se pratiquait aussi à l'époque de Pline et il est possible de la relier à un extrait du trente-troisième livre de son Histoire Naturelle, traitant de l'or. L'auteur y aborde le problème des tâches blanchâtres dans des cas de dorure mettant en œuvre du mercure et qui n'a pas pleinement réussi:
Et donc, quand on dore des objets en bronze, on y applique une couche de mercure qui fixe les feuilles d'or de façon très efficace; mais lorsque les feuilles sont simples ou trop minces, la couleur pâle du mercure dénonce la fraude.
Ce cas de figure, diagnostiquant mal la cause des tâche, rapporte cependant l'existence de ces tâches sous la dorure, dues à des globules de plomb à la surface du bronze. Théophile recommande de les frotter à l'agate. Pline ne préconise rien de tel, mais le lien existant entre le passage du livre XXXVII sur les sardoines et celui du livre XXXIII sur les tâches blanches semble bien exister. Sans doute l'auteur rapporte-t-il des informations collectées mais pas intimement comprises. Néanmoins très bien informé Pline, au livre XXXIII, pointe du doigt un problème jamais soulevé jusqu'aujourd'hui. En effet, il y a rapporte qu'on dore le bronze au mercure – vif-argent – tel qu'on peut le trouver dans les mines d'Espagne. Cette pratique de la dorure au mercure ne semble pas fréquente à son époque – on lui préfèrerait la dorure à la feuille. Pline ajoute que le mercure étant rare sous sa forme native, on le réserve à l'extraction de l'or où il se révèle très utile pour séparer l'or des déchets. La dorure du bronze statuaire serait due, à en croire l'auteur, à l'emploi d'une autre matière: l'hydrargyre, obtenu à partir de cinabre – minium – beaucoup plus courant que le mercure. On en trouve, d'après V. Brinkmann en Istrie et en Andalousie.
Du minium de seconde qualité on a trouvé le moyen de tirer aussi l'hydrargyre, qui tient lieu de vif-argent; nous avons naguère différé d'en parler. On le produit de deux manières: en pilant du minium avec du vinaigre, dans des mortiers de bronze et avec des pilons de bronze; ou alors on met du minium dans une cuvette de fer à l'intérieur d'une marmite de terre, on couvre d'un plat creux, on lutte avec de l'argile, puis on allume sous la marmite un feu qu'on attise sans arrêt avec des soufflets, et on recueille sur le couvercle une buée qui est de la couleur de l'argent et liquide comme l'eau. [...]. De nos jours, l'hydrargyre sert presque uniquement à dorer l'argent, alors qu'on devrait l'appliquer aussi sur des objets de bronze en employant une méthode analogue.
Le produit obtenu serait une sorte de mercure de synthèse, mais que Pline ne considère pas comme du vif-argent. L'auteur pointe là une question que peu s'étaient posée: les mines antiques auraient-elles pu produire assez de mercure « vif-argent » pour dorer toutes les statues que l'on dit dorées au mercure? Il rapporte que « le vif-argent ne se trouve pas en quantités considérables »? Aurait-on si massivement doré au mercure si le mercure avait coûté très cher? Pline offre ici une solution: la dorure ne se faisait qu'avec un mercure de synthèse. Des examens de laboratoire pourraient-ils permettre de distinguer les dorures dues à l'hydrargyre? De plus, Pline semble s'étonner que l'hydrargyre ne soit pas davantage utilisé pour dorer le cuivre – et donc le bronze – ce qui corrobore l'hypothèse selon laquelle la dorure à l'amalgame – en statuaire pour ce qui nous concerne – est arrivée plus tard, sans doute au IIème siècle de notre ère. Cependant, Pline évoque une technique relevant de la dorure à la feuille fixée au mercure
[...] d'abord on attaque le cuivre en le faisant rougir au feu, puis on l'éteint avec du sel, du vinaigre et de l'alun, ensuite on le décape – et c'est son brillant qui indique s'il est suffisamment recuit -; puis on l'expose une seconde fois au souffle du feu, et on le polit avec un mélange de pierre ponce et d'alun, pour qu'il puisse recevoir les feuilles d'or qu'on y applique au moyen de vif-argent.
Athénée, à la fin IIème et au début du IIIème siècle, dans le livre V des Deipnosophistes, consacré au luxe et à l'ostentation, mentionne des clous et des poignées – certes pas des statues – dorées « au feu » – Χρύσωσισ έκ πυρός. On peut y voir une manifestation de la dorure « au feu », passage au four ou chauffage d'une dorure à la feuille, ou une technique mettant en œuvre du mercure – qui nécessite aussi un passage au feu. D'aucuns pourraient avancer que de nombreux textes antiques faisant mention de statues dorées ne précisent pas la matière du support et que du marbre, du bois ou d'autres matières ont pu recevoir de l'or durant l'Antiquité. Pline, encore une fois, apporte des précisions utiles.
Sur le marbre et sur les matières qui ne peuvent être chauffées à blanc, on applique l'or avec du blanc d'œuf; sur le bois, on l'applique avec une composition de colle qu'on appelle leucophoton [...] pour dorer le cuivre, il fallait en principe employer du vif-argent ou du moins de l'hydrargyre.
Ce passage plaide en faveur d'une dorure majoritairement appliquée sur du bronze. Si des exemples de dorure sur marbre et sur bois existent34 la dorure qui y était appliquée, au moyen d'adhésifs organiques – colle, blanc d'œuf – n'a pas pu durer. Ces statues ne pouvaient guère être exposées en extérieur, ni même conserver leur couche dorée durablement. Le bronze est donc le support privilégié de la dorure.
2/ aspect, rendu, intentions: dorure et statues honorifiques
Les auteurs antiques, à travers leurs textes, enseignent beaucoup sur les aspects anciens des statues et la valeur immatérielle qui leur était attribuée. Cicéron se trouve au premier rangs de ceux-là, puisque, dans ses plaidoiries il utilise souvent les effigies en bronze pour dénoncer leur caractère luxueux ostentatoire ou au contraire valoriser la noblesse d'âmes de ceux qui les ont méritées. Dans son In Pisonem, il reproche à Pison de se comporter en patron du peuple romain, comme le prouveraient ses statues dorées:
[...]Regardez à gauche cette statue équestre dorée: quelle en est l'inscription? « les trente-cinq tribus à leur patron » Le peuple romain a donc pour patron L. Antonius.
La forme canonique de la statue équestre dorée, si bien attestée dans les vestiges, est ici enrichie d'une dimension politique. Ce type de monument peut donc, à en croire Cicéron, être offert par un groupe à un individu, afin d'être exposé publiquement, en plein air. On retrouve le même type d'accusation dans le Pro Cluentius: On se moquait de cette réconciliation à ménager, du personnage d'homme vertueux qu'il avait revêtu, comme pour ces statues dorées qu'il fit élever au temple de Juturne et au pied desquelles il fit inscrire: « que des rois avaient été par lui réconciliés ».
Il est ici question ici d'un « personnage d'homme vertueux ». C'est ce laissent croire les statues dorées, qui semblent signifier la grandeur d'âme de celui qui est représenté. Avoir son portrait en bronze doré semble bien être un très grand honneur réservé aux plus vertueux. Cette valeur symbolique attribuées à ces monuments parés d'or se rencontre à trois reprises dans le In Verrem, dénonçant ce parangon d'homme politique corrompu se glorifiant par des œuvres d'art que fut Verrès.
[...]à l'endroit même où se trouve la statue en airain de ce fameux M. Marcellus en personne, qui a conservé intact aux yeux des Syracusains cet édifice que la loi de la victoire lui permettait de leur enlever, l'érection de la statue dorée de Verres et d'une autre de son fils [...]
[...] toi en l'honneur de qui s'élèvent à Rome des statues dorées, offertes par la confédération des cités de Sicile, comme nous le lisons dans l'inscription [...]
[...] Mais qu'est-ce à dire? Que signifient ces statues équestres dorées, qui blessent les yeux et les sentiments du peuple romain, ces statues près du temple de Vulcain?
A propos de Verrès, il est encore une fois fait mention d'une statue équestre dorée à Rome, ce qui semble bien montrer que la Ville fut le lieu d'un grand nombre de monuments de ce type. Cependant, pour Cicéron, les statues dorées peuvent aussi célébrer un personnage à juste titre, surtout quand il s'agit de l'auteur en personne puisqu'il y en avait au moins une à son effigie. Il rappelle en effet que les habitants de Capoue « [l'] avaient honoré d'une statue dorée. » Cette pratique de la statue équestre dorée a une grande longévité dans le monde romain, puisque l'Histoire Auguste, à la fin du IVème siècle, rapporte que l'empereur Maximin, régnant de 235 à 238, s'est vu offrir une statue équestre dorée par le Sénat. Les auteurs antiques évoquent peu les statues polychromes présentant des ajouts de cuivre ou d'argent. Cela s'explique peut-être par la banalité qu'elles pouvaient avoir à leurs yeux, ou du caractère simplement décoratif qu'elles pouvaient revêtir. Les statues dorées, et en particulier équestres, ont eu plus de faveur dans les textes, en particulier chez Ciceron, qui fait apparaître ces monuments comme des œuvres honorifiques que certains n'hésitaient pas à s'attribuer abusivement tant elles sont prestigieuses. La dorure dans ces cas apparaît comme une valeur ajoutée au fait d'être simplement représenté et exposé. Elle semble apporter une aura, une majesté, une reconnaissance suprême.
3/ œuvres fameuses et symbolique du métal
Des textes antiques mentionnant des œuvres célèbres précisent parfois quand celles-ci sont polychromes. Il s'agit surtout de sculptures dorées, comme l'a montré la majorité des sources précédemment citées. Parmi les plus célèbres et les plus anciennes d'entre elles figurent les Dei Consentes, sous le portique qui leur était dévolu sur le Forum. Varron évoque, dans son De Re Rustica, leur dorure - qui, du fait de l'exposition en extérieur et du prestige du lieu devait très probablement être une dorure sur bronze. Il mentionne en effet « les douze Dei Consentes, [...] , dont les images dorées se dressent au forum [...]». Leur présence au cœur de la Ville et du monde romain, est significative de la valeur symbolique qu'apporte la dorure à une simple statue en bronze. La présence fréquente, dans le corpus et dans les sources antiques, d'effigies divines dorées, abonde dans le sens d'un caractère divin, ou du moins surhumain dû à la couche superficielle de métal précieux. Cette symbolique n'est pas incompatible avec le caractère extrêmement honorifique de monuments dorés dédiés à certaines personnes d'exception. L'or apporte au bronze déjà noble une aura surnaturelle. Les incrustations de cuivre et d'argent ne semblent pas quant à elle avoir fasciné les auteurs – à part Apulée mais l'auteur ne mentionne même pas les matières mises en œuvre – alors qu'il semble qu'elles aient été davantage pratiquées que la dorure. Cet usage devait revêtir une symbolique bien moins forte et pouvait n'être que purement décoratif ou du moins esthétique. L'utilisation de cuivre pour figurer la bande laticlave a cependant pu être investie d'une certaine symbolique, comme tendent à le montrer, principalement pour la période augustéenne, l'Auguste équestre d'Athènes, ou la cavalier d'Augst. Aucune trace dans les textes n'a pu être identifiée?
C/ Quand les sources antiques n'abondent pas dans le sens des témoignages matériels
Il arrive aussi, malheureusement, que les écrits antiques évoquent des usages contradictoires avec les vestiges ou techniquement très improbables voire impossibles. Il est donc difficile de faire la part des choses entre les compléments d'information littéraires, les fantasmes ou approximations de la science antique et les croyances erronées d'auteurs romains. Essayer de comprendre l'origine de ces témoignages peut cependant être enrichissant.
Ces passages qui nous semblent problématiques concernent exclusivement la technique. Il est en effet difficile de juger impossible des phénomènes aussi subjectifs que la perception des couleurs et leur symbolique. Aussi est-ce la technique, qui peut être scientifiquement vérifiée, qui est exclusivement concernée. Les erreurs de Pline prouvent qu'il faut le lire avec recul quand il évoque l'utilisation de fer dans les statues:
Et pourtant l'humanité n'a pas manqué d'accorder aussi au fer une gloire plus pacifique. L'artiste Aristonidas, voulant exprimer le repentir succédant chez Athamas à la folie qui lui avait fait précipiter son fils Léarchos, a allié le fer au cuivre afin que la rouille du fer, transparaissant sous l'éclat du cuivre, servît à exprimer la rougeur de la honte. Cette statue existe encore aujourd'hui à Rhodes. Il y a aussi dans la même ville un Hercule en fer, œuvre d'Alcon, à qui l'endurance du dieu dans ses travaux inspira le choix de ce métal.
Ce passage montre en effet une impossibilité technique: la fonte du fer fut impossible jusqu'au XVIIIème siècle et l'invention des hauts fourneaux. Pline se trompe, et prend peut-être pour de la rouille une incrustation de cuivre rouge, une oxydation naturelle ou même une patine partielle sur l'Athamas. La teinte de l'Hercule de Rhodes s'explique aussi mal. Peut-être les bronzes de cette île s'oxydaient-t-ils de la couleur de la rouille en raison d'une composition ou de conditions atmosphériques particulières. Quoi qu'il en soit, le fer ne put pas être fondu en statues – mais éventuellement forgé ou martelé, ou incrusté, mais Pline l'aurait sans doute remarqué. Il ne put en aucun cas être mêlé au cuivre. Plutarque rapporte lui aussi un usage improbable. Il fait mention d'une statue de Jocaste morte, pour laquelle une forte dose d'argent dans l'alliage de bronze avait permis de rendre la pâleur d'un corps sans vie. Cette pratique, si elle n'est théoriquement pas impossible, ne semble pas correspondre aux usages anciens. Aucune variation d'alliage entre les carnations et le reste des statues n'a jamais été mise en évidence. Pline et Plutarque pensent rapporter des faits exceptionnels, des curiosités méritant d'être décrites, des objets uniques dont nous aurions pu perdre les rarissimes vestiges. Cependant, les pratiques décrites semblent aller à l'encontre des observations réalisées sur les statues conservées. | |
| | | Maximianus Herculius Prefet de l'Vrbs
Age : 40 Date d'inscription : 23/04/2014
| Sujet: Re: Polychromie des statues romaines en bronze (et la dorure) Mar 13 Jan - 21:31 | |
| BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES
Sources antiques
Ammian. XIV = Ammien Marcelin, Histoire (livre XIV), texte établi et traduit par E. Galletier, Paris, 1968
Ammian. XVII = Ammien Marcelin, Histoire (livre XVII), texte établi, traduit et annoté par G. Sabbah, Paris, 1970
Apulée. Flo. = Apulée, Florides, texte établi et traduit par P. Valette, Paris, 1960
Athénée, V = Athenaeus, the Deipnosophists, with an english translation by C.B. Gulick, II, Cambridge (Ma) Londres, 1967
Cic. Verr. = Ciceron, Discours, tome III Seconde Action Contre Verrès, texte établi et traduit par H. De la Ville de Miremont, Paris, 1960
Cic. Cluent. = Ciceron, Discours, tome VIII Pour Cluentius, texte établi et traduit par P. Boyancé, Paris, 1953
Cic. Phil. = Ciceron, Discours, tome XX Philippiques V à XIV, texte établi et traduit par P. Wuilleumier, Paris, 1964
Cic. Pis. = Ciceron, Discours, tome XVI, 1ère partie, Contre L. Pison, texte établi et traduit par P. Grimal, Paris, 1966
Dion, XLVI = Dio's Roman History, with an english translation by E. Cary, V, Cambridge (Ma) Londres, 1969
Dio. Chrys. = Dio Chrysostom, with an english translation by J.W. Cohoon, II, Londres / Cambridge, 1961
Firm. Mat., math. = Firmicus Maternus, Mathesis, texte établi et traduit par P. Monnat, Paris, 1994
H.A., Max. = Histoire Auguste, Maximin, in the Scriptores Historiae Augustae, with an english translation by D. Magie, Cambridge (Ma) Londres, 1980
Hérodote, I = Hérodote, Histoires, livre I, texte établi et atrduit par Ph.-E. Legrand, Paris, 1970
Homère, Odyss. = L'Odyssée, tome I, chants I-VII, texte établi et traduit par V. Bérard, Paris, 1989
Juv. = Juvenal and Persus, edited and translated by Susanna Morton Braund, Cambridge (Ma) Londres, 2004
Lucrèce = Lucrèce, De la Nature, texte établi et traduit par A. Ernout, Collection des Universités de France, Paris, 1968
Ovide, Ars = Ovide, L'Art d'Aimer, texte établi et traduit par H. Bornecque, Paris, 1994
Pausanias, I = Pausanias, Description de la Grèce, Tome 1, livre I L'Attique, texte établi par M. Casevitz et traduit par J. Pouilloux, Paris, 1992
Pausanias, X = Pausanias, Description of Greece, with an english translation by W.H.S. Jones, IV, Londres, Cambridge, 1955
Pline XXXIII = Pline l'Ancien, Histoire Naturelle, Livre XXXIII, texte établi et traduit par H. Zehnacker, Paris, 1983
Pline XXXIV = Pline l'Ancien, Histoire Naturelle, Livre XXXIV, texte établi et traduit par H. Le Bonniec, Paris, 1953
Pline XXXVII = Pline l'Ancien, Histoire Naturelle, Livre XXXVII, texte établi, traduit et commenté par E. de Saint-Denis, Paris, 1972
Strab. = The Geography of Strabo, with an english translation by H.L. Jones, IV, Londres/Cambridge, 1968
Tit. Liv., Hist., XL = Tite-Live, Histoire Romaine, tome XXX, Livre XL, texte établi et traduit par C. Gouillart, Paris, 1986
Tit. Liv., Hist., XXIV = Tite-Live, Histoire Romaine, tome XIV, Livre XXIV, texte établi et traduit par P. Jal, Paris, 2005
Val. Max. = Valère Maxime, Faits et dits mémorables, tome I, livres I-III, texte établi et traduit par R. Combès, Paris, 1995
Varro. Rust. = Varron, Economie rurale, livre premier, texte établi et traduit par J. Heurgon, Paris, 1978
Virgile = Virgile, Eneide, livres V-VIII, texte établi et traduit par J. Perret, Paris, 1978
Autres sources littéraires:
Moine Théophile, Traité des divers arts, Paris, 1924 (écrit vers 1100)
Dorure
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| | | PYL modérateur
Age : 124 Localisation : Bretagne Date d'inscription : 19/11/2007
| Sujet: Re: Polychromie des statues romaines en bronze (et la dorure) Mer 14 Jan - 20:47 | |
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| | | PYL modérateur
Age : 124 Localisation : Bretagne Date d'inscription : 19/11/2007
| Sujet: Re: Polychromie des statues romaines en bronze (et la dorure) Mer 14 Jan - 20:50 | |
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| | | Maximianus Herculius Prefet de l'Vrbs
Age : 40 Date d'inscription : 23/04/2014
| Sujet: Re: Polychromie des statues romaines en bronze (et la dorure) Mer 14 Jan - 21:33 | |
| Merci pour ces liens complémentaires. L'expo "Bunte Götter" a eu un effet très positif. Mais elle traite essentiellement des statues en pierre. La polychromie fonctionne sur des principes différents pour le bronze. Patines, incrustations, dorure... Et pour me tresser mes propres lauriers, je suis assez fier de la bibliographie. | |
| | | | Polychromie des statues romaines en bronze (et la dorure) | |
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