Analyse de monnaies grecques douteuses ep.1

Un tétradrachme de Leontini de type ANS 217 proposé dans une vente aux enchères me semble très douteux.



Il est douteux au départ pour des raisons très subjectives : La première impression est mauvaise (pure question de feeling)

Par ailleurs, "Le contexte" est dangereux. Pour avoir déjà évoqué le sujet avec des professionnels, le fait qu'une monnaie provienne d'une collection ancienne et qu'elle ait déjà transité par des maisons de vente connues (ici GM et Sternberg) réduit significativement la vigilance. La monnaie a pour ainsi dire été blanchie lors des ventes précédentes.

Revenons à la monnaie.
Pour moi le feeling n’est pas bon principalement à cause de l’aspect du métal et de la patine noire qui est clairement artificielle.

On va la comparer avec d’autres monnaies de mêmes coins dont l’authenticité n’est pas contestée. Le mieux est de choisir des monnaies venant des collections publiques (ANS, Paris, Londres, Berlin ...) dont la plupart des monnaies ont été numérisées en photos HD ou venant de collections privées très connues.

Collection Hunt (vente Sothebys et Leu)



ANS



Berlin



Paris



Londres




Petite parenthèse :
En classant les monnaies par ordre d'usure des coins (la monnaie la plus à gauche est l'exemplaire de Vienne dont le coin de revers est différent), on observe la dégradation progressive du chariot et du conducteur assez caractéristique ainsi qu'une impression de "multiplication" du nombre de pattes arrières et de queues. L'aspect est similaire à un tréflage mais ce n'en est pas un.



L'examen des détails :

- Le Chiton de Nike de notre monnaie est plus ajusté au corps (pas forcement évident de prime abord mais visible sur un examen zoomé)
- pour moi il y a une certaine incohérence entre l'aspect de la roue relativement à l'usure du coin d'avers et son évolution mise en évidence (certes discutable)
- Des questions sérieuses se posent en revanche à l'examen de l'oreille et des mèches. Quelque soit l'état de fraîcheur du coin ou l'usure liée à la circulation, aucune monnaie ne ressemble à celle en examen.



Deuxième étape recherche de faux publiés, disponibles sur la base forgery network.
Un exemplaire est publié que l'on peut comparer avec notre monnaie.



Ce n'est pas un clone mais quelques similitudes semblent évidentes.

Un faux est obtenu soit par moulage à partir d'une monnaie authentique selon des méthodes diverses et variées, soit frappé ou pressé à l'aide de coins obtenus soit "par transfert" à partir d'un modèle original soit tout simplement gravé "à la main" comme les faux de Becker.

Pour les faux de qualité, il est parfois difficile de savoir si la monnaie est frappée ou moulée. Ici il semblerait qu'elle soit frappée (ou pressée) puisqu'on voit distinctement au revers la limite du coin sur le flan. C'est finalement là que réside l'argument technique qui emporte la décision et qui rend inutiles toutes les analyses ci-dessus  

Le coin de revers moderne utilisé n'a tout simplement pas le même diamètre que le coin original et c'est une erreur très classique.



Voici un autre faux dont la caractéristique est inverse : le diamètre du coin moderne est supérieur au diamètre du coin original.



Voili voilou.  
Finalement tous les outils d'enquête sont facilement disponibles...

Bonsoir merci pour ce très intéressant post

Bien vu Brennos...!! 🧐

Bonjour
Merci Brennos pour cette analyse, qui me seras utile

Merci, en effet ce tétradrachme a peu de chance d’être authentique.
Sur la dimension du coin, c’est effectivement un bon repère, une erreur assez grossière des faussaires si ce n’est que certaines monnaies peuvent donner cette impression lorsque le bourrelet de métal à la périphérie semble marquer les limites du coins. Par exemple sur la monnaie de la BNF où il longe la feuille, ou celui de NAC:

Paris


NAC

https://www.numisbids.com/n.php?p=lot&sid=1080&lot=575

Qu’on pourra comparer avec un des exemplaires du BM, ou à celui de Nomos:
BM


Nomos


Comment interprètes-tu ce défaut de coin en creux sous le O qui « disparaît » plus tard, au moment où la cassure de coin se produit près du N? Y a-t-il des exemples d’authentiques reprises de gravure de coins pour les tétradrachmes et les décadrachmes?
Au passage cette cassure de coin d’avers qui s’est encore étendue sur l’exemplaire de NAC indiquerait, contrairement à la chronologie des frappes que tu proposes sur l’observation des revers, une antériorité des exemplaires de Berlin et Paris (cassure de coin absente) sur celui de l’ANS.



Enfin que penses-tu de cet exemplaire de Roma Numismatics? Est-il douteux? Que lui est-il arrivé?


https://www.acsearch.info/search.html?id=5576048

La monnaie a été retirée de la vente  

Uzes a écrit:

Comment interprètes-tu ce défaut de coin en creux sous le O qui « disparaît » plus tard, au moment où la cassure de coin se produit près du N? Y a-t-il des exemples d’authentiques reprises de gravure de coins pour les tétradrachmes et les décadrachmes?
Au passage cette cassure de coin d’avers qui s’est encore étendue sur l’exemplaire de NAC indiquerait, contrairement à la chronologie des frappes que tu proposes sur l’observation des revers, une antériorité des exemplaires de Berlin et Paris (cassure de coin absente) sur celui de l’ANS.

Bien vu le défaut en creux sous le O   Je n'ai pas d'explication et oui, les retouches de coins sont fréquentes.

La chronologie que je propose concerne uniquement l'avers (je crois que tu as confondu avers et revers, le portrait est au revers).

Concernant l'exemplaire de Roma, il ne me plait pas beaucoup non plus.... Ce genre de cratère résulte en général d'un nettoyage un peu trop violent d'une monnaie corrodée mais une fois de plus, l'allure générale n'est pas cohérente avec une monnaie corrodée.

Retirée, ceci confirme tes doutes, tu l’avais signalée?

Tu as raison, j’ai confondu l’avers et le revers, mais quelque chose m’échappe. L’usure des coins avers et revers s’effectue bien en parallèle? Si le coin de revers de l’ANS présente une cassure, le coin d’avers ne peut pas être plus frais que pour les exemplaires de Londres et de Paris où cette cassure n’existe pas encore?

A priori les coins de revers s'usaient plus vite que ceux d'avers, d'où souvent la frappe alternée avec plusieurs coins de revers, ce qui aurait permis de limiter les montées en température de l'ensemble, qui était un des principaux facteurs de leurs usure prématurée par rapport à ceux d'avers ....

Cette pratique aurait elle pu expliquer cela...???

Qu’un coin dormant ne se détériore pas de la même façon qu’un coin mobile je peux comprendre. Et l’exemplaire de Vienne comme le disait Brennos montre qu’un deuxième coin de revers a été utilisé (moins souvent semble-t-il?) avec ce coin d’avers.




Mais si une monnaie A présente un coin de revers cassé et pas la monnaie B, le même coin d’avers ne peut avoir en A une usure moindre que celle de B...

On ne peut pas savoir dans quel ordre A et B on été frappé si le coin de revers était différent en A et B...??

(mais ce soir pour être honnête, j'ai des difficultés cognitives... )

Pour les 3 monnaies de droite (ANS, Londres, Paris, classés par Brennos pour l’avers) ce sont les mêmes coins...
Je fatigue aussi. Vais me coucher

L'étude des séquences de frappe est un sujet intéressant mais plus difficile pour les monnaies grecques que pour le monnayage romain beaucoup plus abondant.
Nous disposons généralement de peu d'exemplaires par coin et les frappes n'étaient souvent pas continues.

C'est super intéressant et très utile? Un grand merci Bernons pour ces analyses partagées. Ca a du te prendre pas mal de temps de rédiger ce petit article mais c'est vraiment très instructif pour les novices comme moi. :)

Antonivs a écrit:

C'est super intéressant et très utile? Un grand merci Bernons pour ces analyses partagées. Ca a du te prendre pas mal de temps de rédiger ce petit article mais c'est vraiment très instructif pour les novices comme moi. :)

C'est justement le mot d'ordre de tous les faussaires que combat Brennos ...!!!

L'écriture automatique des ordi et smartphones est vraiment parfois désopilante...!!

Oups, oui en effet, désolé Brennos. Comme BRUTUS l'a bien compris c'est la correction orthographique de mon ordinateur qui me joue des tours...

Encore une superbe démonstration!
Merci pour le partage